L’autoconservation ovocytaire est-il un droit théorique ? C’est ce que dénonce Fatima Bouayad, fondatrice de la clinique de fertilité et santé hormonale WoMA, dans une enquête sur les 47 centres habilités à la congélation d’ovocytes sans motif médical en France. Nous en révélons les données en exclusivité.
De la rage. C’est ce qu’a éprouvé Fatima Bouayad durant son parcours pour faire une PMA. Face aux « absurdités du système » qui compliquent une démarche déjà éprouvante, elle s’est souvent sentie démunie. Alors en 2024, elle fonde WoMA, une clinique accompagnant celles qui, comme elle, veulent faire congeler leurs ovocytes. Et se prennent un mur.
Depuis la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, toutes les femmes âgées de 29 à 37 ans ont accès à l’autoconservation ovocytaire sans motif médical. Du moins, sur le papier. « L'engouement suscité par la mesure a été largement sous-estimé, les hôpitaux se sont rapidement retrouvés submergés », constate la militante. Dans certains centres, les délais d’attente avant le premier rendez-vous se comptent même en années.
Face à la demande exponentielle, Emmanuel Macron avait déclaré, dans un entretien exclusif accordé au ELLE en 2024, ouvrir aux établissements privés cette pratique jusque-là réservée aux établissements hospitaliers publics. Un an après, Fatima Bouayad s’est armée d’un ordinateur et d’un téléphone pour solliciter les 47 centres aujourd’hui habilités à la congélation d’ovocytes. « J’ai voulu faire un état des lieux de l’offre en France, pour voir si la situation s’est améliorée depuis ces annonces », résume-t-elle avant de lâcher : « Il s’avère que c’est encore pire. »
« Ne rappelez pas dans trois mois, cela ne sert à rien »
Nous avons eu accès aux données exclusives recueillies par WoMA, et le constat est sans appel. Pour obtenir un premier rendez-vous, il faut compter dix-sept mois en moyenne. Ce chiffre monte même à plus de vingt-quatre mois pour cinq centres - dont ceux de Marseille et de Grenoble, qui affichent quarante-huit mois d’attente.
Les femmes inscrites sur liste s’estiment pourtant chanceuses, car certains établissements n’acceptent tout simplement plus de nouvelles patientes. Pour douze d’entre eux, la prise de rendez-vous est indisponible, soit un sur quatre en France. C’est le cas de 100 % des centres en Île-de-France, où il est désormais impossible d’accéder à l’autoconservation ovocytaire. « Ne rappelez pas dans trois mois, cela ne sert à rien », a ainsi averti l’Hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine), appelé par Fatima Bouayad.
Or, pour les femmes dont la fertilité baisse à mesure que le temps passe, cette lenteur réduit leur chance de mener leur projet de maternité. « Toutes celles avec qui j’ai échangé m’ont confié que le plus difficile a été l’attente, et ce malgré la lourdeur du protocole. Cette attente a un coût. Mental. Biologique. En qualité et en quantité ovocytaire », souligne la fondatrice de WoMA, qui a elle aussi connu cette angoisse : « Certaines secrétaires de centres sont régulièrement confrontées à des pleurs au téléphone. »
« Je me suis sentie vieille dès que j’ai commencé à appeler les centres »
Face à la demande, les centres se trouvent contraints à filtrer les profils placés sur liste d’attente - qui atteint huit pages rien qu’à Limoges par exemple. Si la loi autorise la procédure jusqu'à 37 ans, dans les faits, celles qui s’en approchent peuvent voir leur dossier rejeté.
Selon l’enquête de Fatima Bouayad, dix centres sur quarante-sept refusent les femmes au-delà de 36 ans, ce qui représente un peu plus d’un centre sur cinq. Deux n’accordent plus de rendez-vous après 35 ans, voire après 33 ans à Lyon, selon le secrétariat du CHU Estaing de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). « Je me suis sentie vieille dès que j’ai commencé à appeler les centres, raconte Rita à Fatima Bouayad. La limite, c’est 37 ans, mais à 35 ans, on me fait déjà comprendre que c’est trop tard. »
Ce tri est une conséquence directe de la surcharge des hôpitaux qui, en raison des délais démesurés, doivent s’assurer de pouvoir réaliser la ponction avant la borne d’âge prévue par la loi. Pour éviter de « rater sa chance », comme le regrette Delphine, 36 ans, Fatima Bouayad conseille de se mettre sur liste d’attente le plus tôt possible, « même si l’on commence seulement à envisager la congélation d’ovocytes ». Une charge mentale supplémentaire à assumer.
« Notre centre est exclusivement réservé aux résidents de l’Essonne »
À cette course contre la montre s’ajoute un autre obstacle, géographique cette fois. Durant son enquête, Fatima Bouayad a plusieurs fois été interrogée sur son lieu de résidence pour pouvoir prendre rendez-vous. Selon les chiffres qu’elle a réunis, seuls neuf centres autorisent (encore) les patientes provenant d’autres régions. Près de 43 % - soit plus de quatre centres sur dix - refusent les dossiers extérieurs, et 38 % ne se prononcent pas explicitement. « Nos cuves regorgent d’ovocytes parisiens », déplore l'Hôpital Maison-Blanche de Reims qui n’accepte désormais plus que les femmes des départements de la Marne et de l’Aisne.
Certains centres assument une décision prise en interne, quand d’autres avancent une directive de l’agence régionale de santé (ARS) pour justifier cette discrimination, comme le Centre hospitalier sud francilien de Corbeil-Essonnes : « En raison de notre capacité d’accueil restreinte, de la forte demande tant médicale que sociétale, ainsi que des directives de l’ARS, notre centre est exclusivement réservé aux résidents de l’Essonne ou des communes limitrophes relevant de notre secteur (sud 77 et sud 78). »
« Les hôpitaux sont tellement dépassés par la demande qu’il faut bien trouver des critères de sélection. Pour l’instant, c’est le lieu d’habitation : ils exigent un certificat de résidence fiscale ou une attestation de la sécurité sociale », s’agace la militante. Un critère arbitraire qui crée une véritable inégalité. Celles qui n’ont pas de centre dans leur département (40 % des femmes, d’après l’enquête réalisée par WoMA) ou vivent dans des zones saturées comme l’Île-de-France ne peuvent pas bénéficier de l’autoconservation ovocytaire, quand bien même elles respectent les modalités établies dans le texte du 2 août 2021.
Sollicitée par ELLE, l’ARS Île-de-France a indiqué n’avoir « émis aucune directive territoriale aux centres d’AMP franciliens en vue de limiter la prise en charge des personnes sur le fondement de leur zone de résidence » et assure qu’elle va « rappeler au CHSF la nécessité de supprimer la règle territoriale qu’il a instaurée ». « De toute façon, le vrai problème, c’est le manque de centres, conclut Fatima Bouayad. C’est ça qui nous empêche d’accéder à ce qui est pourtant un droit. »