DANS LA PRESSE

Le Point parle de WoMA - « Je vais avoir 37 ans, j’ai eu de la chance » : les galères de l’autoconservation des ovocytes

Autorisée depuis 2021 sans raison médicale, l’autoconservation des ovocytes reste difficilement accessible : délais de rendez-vous interminables, saturation des centres, inégalités territoriales, ...

Après six ans de couple, un mariage, l'achat d'un appartement et un projet d'enfant, le compagnon de Catherine décide de la quitter en décembre dernier. « En plus de la dévastation émotionnelle, je me suis demandé ce que j'allais faire avec ma fertilité. » À 33 ans, cette Franco-Britannique se heurte à un paradoxe : longtemps, elle ne s'est pas posé la question de la maternité. Maintenant qu'elle s'y sent prête, elle se retrouve célibataire. Autour d'elle, plusieurs amies ont déjà eu recours à l'autoconservation des ovocytes, une procédure désormais prise en charge à 100 % par l'Assurance maladie – sans raison médicale – pour les femmes de 29 à 37 ans, selon la loi bioéthique de 2021. Catherine décide de se lancer dans les démarches. Mais à Paris, aucun centre ne lui propose de rendez-vous. « J'ai compris qu'il fallait élargir mes recherches à toute l'Île-de-France. » Sans succès. Ayant des attaches à Marseille et Strasbourg, elle tente sa chance auprès des hôpitaux locaux. « Tous m'ont répondu qu'ils n'acceptaient que des patientes de la région. »

C'est finalement en entendant parler de l'ouverture prochaine du service d'autoconservation des ovocytes à la maternité des Bluets, à Paris, que Catherine entrevoit une solution. « Je les ai contactés en amont pour être sur liste d'attente. » En mars, elle envoie un mail et obtient un rendez-vous… pour octobre 2026. « J'aurai 35 ans, je serai à six mois de la date limite, j'ai eu de la chance. »

Trois ans d'attente

Le témoignage de Catherine illustre la réalité à laquelle se heurtent de nombreuses trentenaires : en Île-de-France, les centres sont saturés ; en région, la majorité refuse les patientes non résidentes. C'est ce qu'analyse Fatima Bouayad, ancienne patiente en PMA et fondatrice de WoMA, une néoclinique de fertilité, dans une étude publiée sur son site. En moyenne, il faut attendre 17 mois pour un premier rendez-vous, puis 12 à 18 mois supplémentaires avant la ponction. « Soit une moyenne de trois ans pour l'ensemble de la procédure », résume-t-elle. L'Agence de la biomédecine nous indique de son côté, dans un mail, un « délai moyen de prise en charge est en hausse, passant de 10 mois au niveau national en 2023 à 13 mois en 2024 ». En Île-de-France, selon l'étude de WoMa, les centres seraient pourtant « totalement saturés » tandis qu'en régions, « 85 % privilégient les résidentes, alors que 40 % des femmes n'ont pas de centre dans leur département ».

C'est le cas de Cécile, 36 ans, célibataire depuis quatre ans et installée à Annecy. Dès 2023, elle débute les démarches. Avec un frère à Grenoble, elle contacte le CHU local. En mars, elle apprend que tous les créneaux sont complets. On lui dit de rappeler en septembre. « J'ai passé au moins deux cents appels, pour arriver sur la messagerie. » Finalement, on lui conseille de se tourner vers le CHU de Lyon. Elle y obtient un rendez-vous pour l'automne 2025. Elle aura alors 37 ans. « C'était limite », confie-t-elle, soulagée.

« Au départ, on pensait qu'il y avait un effet d'annonce à la suite de la loi, mais l'autoconservation est réellement plébiscitée. De plus en plus de femmes souhaitent y avoir recours », observe Fatima Bouayad. « On pourrait croire à un protocole bourgeois et parisien, mais il concerne toutes les femmes, tous milieux confondus. » Sa conclusion est claire : « Théoriquement, on peut congeler ses ovocytes jusqu'à 37 ans, mais au-delà de 35 ans et demi, c'est quasiment impossible en raison des délais. »

Un manque d'engagement et de moyens

En mai 2024, Emmanuel Macron promettait dans Elle d'ouvrir l'autoconservation aux centres privés, jusqu'ici réservée aux hôpitaux, afin de réduire les délais. En 2024, 42 centres étaient officiellement autorisés à pratiquer la procédure. Fatima Bouayad en a recensé 47, à force d'un « travail de fourmi mené notamment grâce au bouche-àoreille ». Joëlle Belaisch Allart, gynécologue à Saint-Cloud et présidente d'honneur du Collège des gynécologues, le reconnaît : les données disponibles sur les sites des Agences régionales de santé ou de l'Agence de la biomédecine sont souvent incomplètes, rendant les démarches très difficiles pour les futures patientes.

Pour la gynécologue, les délais s'expliquent par le manque d'engagement de certains centres. « En 2024, 5 127 personnes ont eu recours à l'autoconservation, dont 10 % à Saint-Cloud. Si chaque centre en réalisait 500 par an comme nous, les patientes seraient davantage satisfaites. Il y a trop de réticences, je ne comprends pas ce qui se passe », déplore-t-elle, en appelant à une obligation : que chaque centre consacre au moins 25 % de ses actes à l'autoconservation.

Joëlle Belaisch Allart plaide également pour l'ouverture de tous les centres, publics comme privés, à cette pratique. « Tant que ce ne sera pas le cas, on n'y arrivera pas. » Selon elle, les agences sont conscientes du problème, mais manquent de moyens. « Il faut plus de médecins, plus de lieux de consultation. On se bat, mais on atteint des limites matérielles. » Elle propose aussi de modifier la loi : « La plupart des pays autorisent la procédure aux frais de la patiente, sans limite d'âge. Interdire après 37 ans est absurde. Autorisons-la au-delà, mais sans remboursement. En France, ce dogme du “tout gratuit” finit par pénaliser les patientes. »

Fatima Bouayad avance une autre solution « largement ignorée par la population et très peu relayée par les centres eux-mêmes : l'alternative à l'étranger, remboursées à hauteur de 1 970 euros, soit 80 % du protocole, par l'Assurance maladie ». L'entrepreneuse accompagne des femmes dans ces démarches : « Ce n'est pas idéal, mais en deux mois tout peut être bouclé. C'est essentiel que les femmes soient informées de cette option. » Elle conclut : « Sur 47 centres contactés, un seul m'a parlé de cette possibilité. Je vois trop de femmes à 35 ans résignées alors qu'elles peuvent encore exercer leurs droits dans l'Union européenne. »

Toutes les femmes que nous avons interrogées et qui ont obtenu un rendez-vous évoquent un « coup de chance », un « hasard », ou un contact bien placé. De quoi interroger sur l'égalité réelle d'accès à une procédure censée être ouverte à toutes, mais qui reste aujourd'hui réservée à celles qui ont du temps, des ressources… ou des relations.

Publié par Le Point le 02/06/2025, par Arièle Bonte